Au jour 9 du confinement de l’être confiné

Il était à peu près 13 h 15 quand on est venu entourer mon cou d’un foulard, couvrir ma tête d’une tuque, plonger mes mains dans des mitaines, bien placer mes bras paralysés sur les appuis-bras du fauteuil roulant, avant de les attacher ; un bâillement peut les ressusciter momentanément, les soulever, les déplacer et me déséquilibrer. Mystère. On a finalement étendu une couverture chaude sur moi.

Ma tête m’a conduit sur une galerie en forme de L, puis je me suis stationné dans l’angle. Il faisait à peu près 6 °C à ce moment-là. Le jour devant mes yeux était une baie vitrée qui ceinture la galerie sur une hauteur d’un peu moins de 2 mètres. J’ai basculé l’assise du fauteuil, j’ai vu le ciel, j’ai fermé les yeux, je me suis rapidement endormi à 50°.

Quand je me suis réveillé une quinzaine de minutes plus tard, j’ai retranché à peu près 25° vers l’avant, et j’ai observé la forêt à travers le verre. Ça sentait le souper en préparation, ça m’a écœuré, j’en ai voulu au vent.

Un pic-bois a commencé à cogner contre un arbre tout près. Je l’ai cherché sans succès pendant un bon 10 minutes à travers les sections de verre, puis les coups sont devenus moins audibles : il a volé vers d’autres arbres.

Après le vent, c’est à lui que j’en ai voulu. J’aurais aimé qu’il cogne et fracasse le verre, l’acier, le béton et la brique pour que je m’évade du CHSLD.

Au jour 7 du confinement de l’être confiné

J’ai passé la journée à l’endroit où se conclut mon récit Un jour jusqu’à la fin de mes jours :

« Le soleil est froid à la vitre. Du troisième étage, je plonge dans les épinettes qui ploient sous la neige et bougent avec une certaine souplesse. La forêt est magnifique, je frissonne, c’est calme. »

Très tôt ce matin, j’ai demandé qu’on ouvre la fenêtre de ma chambre pour que je m’évade. Devant l’écran, j’entendais la pluie et ce qui reste de l’hiver s’égoutter du toit, tandis que les épinettes à la vitre étaient immobiles. C’était calme.

En après-midi, j’ai demandé qu’on augmente la vitesse du purificateur d’air ; le bruit blanc a étouffé les prières et le chant de Noël de la vieille dame d’à côté. Elle était peu audible, mais c’en était déjà trop pour mon ouïe. Puis, une vieille dame en fauteuil roulant a joué avec la poignée de la porte fermée à clé. Sans succès. Plus tard, un vieil homme a déjoué la serrure avec la clé accrochée en permanence à la poignée extérieure. J’ai quelque peu élevé le ton quand il est entré, il a marmonné, a reculé et fermé la porte.

J’ai vu les prochaines semaines d’internement, j’ai eu la sensation que le plafond allait s’abaisser, que le mur devant moi allait s’avancer, et qu’ils allaient extraire mon énergie, ma patience, peut-être même anéantir ma volonté de poursuivre ma route, si par malheur je suis victime de la COVID-19 et de ses complications ; être réanimé, être intubé. Je suis suffisamment hypothéqué, je crains des séquelles.

Au jour 6 du confinement de l’être confiné

J’ai ouvert le dictionnaire d’Antidote et j’ai appelé « confinement ».

À la fenêtre d’une chambre d’un CHSLD, sur une galerie derrière une baie vitrée, dans une cour et un enclos délimité par des bancs de neige, le confinement est synonyme de :

Isolement, enfermement, incarcération, relégation, internement, détention, captivité, séquestration, emprisonnement, prison, réclusion, claustration, encagement.

Au jour 5 du confinement de l’être confiné

Je sors d’un demi-confinement hivernal. Alors qu’autrefois je prenais l’hiver de front en marchant d’un pas décidé dans la neige, en respirant le soleil froid à m’en coller les narines, en tenant tête au nordet, finissant tout de même par m’incliner, je dois trop souvent m’avouer vaincu aujourd’hui.

Certains jours, je crains que la mécanique et l’électronique du fauteuil roulant cassent au froid, que les roues s’enlisent dans la neige, et surtout, que mon nez casse et mes joues brûlent parce que je n’arrive pas à les couvrir en raison de mes bras paralysés. Je demeure alors confiné au CHSLD.

J’ai attendu fébrilement le printemps pour que la neige fonde et que davantage de chemins s’ouvrent devant moi. J’ai tout de même parcouru à peu près 150 km cet hiver…

Au premier samedi de ce printemps, le soleil a souri. J’ai pu m’évader du CHSLD.

Ma tête et mon fauteuil roulant motorisé m’ont alors conduit à un peu plus de 2 km du centre d’hébergement.

Au bout d’une rue sans issue, j’ai incliné l’assise du fauteuil d’une vingtaine de degrés, et là, en haut d’une voie ferrée, j’ai vu un ciel infini et le fleuve Saint-Laurent qui écoulait ses dernières glaces. J’y ai senti un vent de liberté.

De retour au confinement.

Journal du confinement de l’être confiné

J’ai 47 ans, je suis paralysé du cou aux pieds et je vis dans un CHSLD de la ville de Québec. Pour en connaître davantage sur moi et mon confinement intérieur, lisez mon récit qui a été finaliste du Prix du récit Radio-Canada 2019, Un jour jusqu’à la fin de mes jours.

En raison de la pandémie de la COVID-19, le Gouvernement du Québec a instauré le confinement dans les CHSLD québécois. Nul contact physique avec les familles, aucune sortie extérieure, par exemple

Au gré des jours et de mes envies, je tiendrai ici le journal de mon confinement.

Au jour 1 du confinement de l’être confiné

Ce n’est ni la pluie ni le vent ni le froid ni la neige ni l’infiniment petit en moi et au grand ravage qui m’a contraint au confinement en ce jour un et à venir.

C’est un infiniment petit qui crève sur tous les continents et toutes les chaînes qui me contraint à l’incarcération au Centre en ce premier jour et temps à venir.

Ma pensée de cette fin de jour un va à ceux que j’aime et aux trois pins de mon petit coin qui pointent le ciel et crèvent le temps lorsque j’y passe des mots des images des souvenirs.

Et arrive en cette fin de premier jour le souvenir de mon ami chantant aux grands pas me rejoignant aux trois pins, de nos mots de tout et de rien, de filles et d’écureuils.

« Pis ton livre ? » « Ça t’tentes-tu d’prendre un café ? » 

Tellement

J’arrive de dehors, pis de dehors sous un pin qui se balançait.

Pendant qu’il se balançait, pis que j’étais penché dans mon fauteuil à peu près à 40° à 0 ° Celsius, j’ai pensé à Desjardins pis à ça.

Je pensais à cet été où j’ai écouté ça pis à tellement d’autres de Tu m’aimes-tu.

Tellement belle. Pis t’es.

Prix du récit Radio-Canada 2019

J’ai été l’un des cinq finalistes au Prix du récit Radio-Canada 2019. À la déception de ne pas être le lauréat, j’ai la satisfaction que mon récit intitulé Un jour jusqu’à la fin de mes jours a eu un bon écho dans les médias – et ce n’est pas terminé – et j’ai reçu de nombreux commentaires positifs.

Tant d’hivers, le document Maître

L’un des membres du comité de lecture a rassemblé, dans ce que j’appellerai une copie Maître, les observations-suggestions-corrections et commentaires de chacun.

Mon père a réalisé un travail de moine. Il m’a même confié avoir adoré l’exercice, ça lui a rappelé des moments de sa carrière de prof de littérature.

Ensemble, nous entreprenons un blitz de corrections pour l’épreuve que j’enverrai aux éditeurs quelque part à l’automne.

En terminant, je vous laisse un commentaire de l’un des membres du comité de lecture : « Tu m’as entraîné dans un beau et long voyage, François, et nombreuses sont les images et les scènes qui m’habiteront longtemps, sans doute toujours. »

Mon roman Tant d’hivers

J’ai terminé l’écriture de mon roman Tant d’hivers au mois de mai. J’ai donné des copies aux quatre membres de mon comité de lecture. Les anciens professeurs de littérature m’ont transmis leur rapport de lecture récemment. J’ai pleuré de bonheur à la réception. Au mois de septembre, je soumettrai à des éditeurs un manuscrit qui sera le plus limpide possible au plan formel. Ce sera un gros mois de septembre.