Un aîné à 42 ans

Les CHSLD sont des milieux de fin de vie. Moyenne d’âge 85 ans, durée moyenne du séjour 2 ans. Je suis en situation d’handicap physique et j’y vis depuis mes 42 ans. J’en ai 49 aujourd’hui.

La Maison des aînés proposée par la #CAQ est un CHSLD +. Rien entre ces murs me permet d’avoir des projets de vie au-delà. Il n’y a aucun service d’assistance que je pourrais choisir selon mes besoins. Exemple. Qui va m’accompagner si je désire passer un après-midi au musée ? Aller au restaurant ? Dans les magasins ? Encore : j’ai signé un contrat d’édition pour la publication de mon roman. Supposons qu’un libraire m’invite à rencontrer des lecteurs, si je me dois me rendre au Salon du livre, qui va m’accompagner ? Mes parents de 80 ans ? Jusqu’à leur mort ? Aucune alternative n’est proposée pour de l’assistance personnelle quand je veux, avec qui je veux, où je veux.

En résumé, tous partis confondus m’ont sacrifié, ont fait de moi un aîné avant l’heure.

Patience et longueur de temps

« Patience et longueur de temps font plus que force et que rage ». (Jean de La Fontaine)

J’ai annoncé sur mon profil Facebook avoir signé un contrat d’édition pour la publication de mon roman. Ainsi, enfin, Tant d’hivers verra le jour.

« Nous publions des œuvres à caractère social, politique et philosophique. Une façon de dire autrement la vie, la littérature, la société, le désir et le droit de rêver au changement à travers des romans, des nouvelles ou des essais. » (Éditions Sémaphore, À propos)

Les Éditions Sémaphore est une petite maison située à Montréal qui publie quatre à cinq titres annuellement. C’est la raison pour laquelle il faudra patienter à peu près deux années avant que vous puissiez vous procurer et lire Tant d’hivers.

Le texte sera passé au peigne fin du côté de la maison d’édition, des modifications seront à prévoir. Rien de majeur. C’est néanmoins une étape normale avant une publication.

Et compte tenu de la période trouble dans laquelle nous nous trouvons depuis bientôt maintenant deux ans, qu’un retour à la normale ou le début d’un temps nouveau n’est pas avant plusieurs mois, voire une année, je vois un avantage à cette attente : il permettra à la maison d’édition ainsi qu’à moi de bien planifier la sortie du roman et sa promotion. En attendant, je vous invite à consulter le catalogue des Éditions Sémaphore. Vous pouvez même commander directement sur le site Web. Version numérique ou papier. Pour ce dernier, la livraison est gratuite au Canada.

Chambre noire

Ma mère vide la maison.

Ma chambre est évidée. Mes albums photos n’en ont plus. La tour Eiffel à la ferraille.

J’ai regardé des visages. J’en ai gardés plusieurs dont un et sa voix.

J’ai regardé mon visage. Le mien sur des jambes. Je n’en garde pas de souvenir. C’est une autre vie que la mienne.

Un an aujourd’hui

Il y a un an aujourd’hui, j’étais interpellé par un policier de la Ville de Québec. Un appel avait été logé parce que j’étais allé voir ma mère et que je n’avais pas le droit.

J’étais dehors auprès de mes arbres derrière le CHSLD, mais grisé par la liberté retrouvée après un confinement hivernal et mêlé par les consignes, je m’étais éclipsé à 1,4 kilomètres de la maison. C’est sur le chemin du retour qu’un policier de mon âge m’a interpellé et raccompagné au CHSLD. Il fallait lire la gêne sur son visage…

C’était le début d’un confinement de 3 mois, une bonne partie du temps autorisé à aller uniquement sur la galerie. Ensuite sur le terrain clôturé, finalement dans mon coin avec les arbres. Ce n’est qu’au 21 juin que j’ai pu aller chez moi.

Depuis, les règles se sont assouplies et mieux ajustées avec les zones de couleur. Je peux me balader, mais je n’ai pas le droit de me rendre à la maison. J’en suis extrêmement frustré.

Ma mère a vendu la maison des 30 dernières années. À 78 ans, elle doit s’occuper seule des préparatifs du déménagement. Physiquement je ne peux l’aider, mais je veux être présent.

Elle est autorisée à me rendre visite au CHSLD, avec tout ce que ça implique de « risques », on m’interdit d’aller chez elle alors qu’elle demeure seule.

Madame Ouellet

Vendredi, je suis allé écouter les arbres dans le vent et les oiseaux dans les arbres.

De retour dans mon aile du CHSLD, je me suis arrêté légèrement en retrait de Madame Ouellet qui a été ma voisine jusqu’au jour où la chambre au bout de l’aile sans voisin en arrière comme en avant s’est libérée.

L’animatrice en loisirs à ses côtés réalisait un exercice avec elle : des lettres sont marquées sur un ballon, Madame Ouellet, 98 ans, devait donner un nom à une lettre désignée.

Je lui demande :

– Un nom commençant par la lettre F.

L’animatrice lui répète, Madame Ouellet répond « Fernand »

Elle m’aperçoit :

– Oh. Mon chum !

Et comment s’appelle-t-il votre chum Madame Ouellet ?

– François !

Madame Ouellet n’a jamais de visite.

La fille des loisirs meuble son temps et sa mémoire, les préposés s’assoient avec elle et mélangent les cartes pour une petite partie quand les acronymes de la santé leur en donnent le temps.

Pour la récompenser, je lui ai offert une petite coupe de vin au souper de samedi soir. Ce n’était pas une première. Du rouge coulera à nouveau. Ça lui met de la couleur dans le jour après jour et dans le cœur.

La bonne année d’un confiné

Bonne année à tous.

Je commence 2021 où j’ai laissé 2020 : l’incertitude. En ce 1er janvier, on m’a rentré une tige dans le nez, l’autre dans la gorge. J’ai passé ce matin le 3e test de dépistage COVID en une semaine.

Ce sera la 7e journée consécutive de confinement entre les murs du CHSLD. Il me semble. Je ne compte plus. Il y a la douche comme échappatoire. Il y a eu 3 mois en dedans au printemps, un été d’une relative liberté, un automne de semi-confinement, un hiver qui s’annonce confiné au CHSLD.

Comme je ne compte pas pour un système qui considère que je suis un incapable, un idiot, il n’y a pas de levée d’interdiction d’aller dehors sur le terrain du CHSLD pour y jouir de la tranquillité, du soleil, du froid, du silence, de la forêt, de la sécurité. La santé publique et le CIUSSS de la Capitale-nationale ont décrété qu’un résident d’un étage en éclosion ne peut quitter ce dernier. L’éclosion est sous contrôle, les quatre résidents sont dans une zone fermée inaccessible, aucun contact n’est possible avec les employés qui en prennent soin. Pendant ce temps, les proches aidants sont toujours autorisés à venir sur l’étage…

Je pourrais aller sur la galerie entourée d’une baie vitrée, mais je n’ai pas envie de regarder le ciel et la forêt par les parois d’une cage de verre.

Pour le moment, je préfère rester entre les murs de ma chambre. J’écris un roman. Du moins j’essaie quand la fatigue comme une ombre ne plonge pas dans le noir. J’ai parfois l’impression que le plafond s’écroule brutalement, que les murs se referment comme un étau et extraient du liquide de mon corps et que le plancher se fissure au point de se dérober sous mon poids. Vous n’aurez pas ma peau. J’écris.

Au jour 29 du confinement 2.0 de l’être confiné

J’ai appris aujourd’hui que je pourrai aller enfin au-delà du terrain du CHSLD et avaler des kilomètres en fauteuil motorisé. Je n’aurai pas besoin de mettre en œuvre le plan que j’avais échafaudé pour alerter l’opinion publique.

Interdiction de fréquenter des commerces et d’aller à la maison. Pas grave. Et je vais composer avec les autres irritants.

Le temps presse.

Novembre est le dernier mois sans entrave (quoique on ne sait jamais…) : la neige me confinera plus souvent qu’autrement au terrain, à mon petit coin sous les pins.

L’objectif était de m’oxygéner pour alimenter mon inspiration. Ça commençait à presser.

J’ai commencé l’écriture d’un nouveau roman. Titre trouvé, un titre que je ne dévoilerai pas.

Le premier chapitre est terminé, le deuxième est commencé. Puis j’ai mis en pause le temps d’établir un plan pour la suite.

Au jour 27 du confinement 2.0 de l’être confiné

85 journées de confinement printemps. 27 journées de semi-confinement automnal ; uniquement le droit d’aller sur le terrain du CHSLD.

Le temps presse, l’automne s’écoule. L’hiver et la neige sont synonymes de semi-confinement.

J’étouffe.

Un rappel du jour 62 du confinement printanier lorsque j’avais rencontré dans la cour du CHSLD un ami dans la même situation que moi. J’écrivais :

« Ils vont nous tuer. »

Au jour 10 du confinement 2.0 de l’être confiné

– Est-ce que ça t’arrive de parler aux écureuils ?

Mon ami était assis sur la bordure de trottoir qui n’en est pas vraiment une, tout simplement parce qu’il n’y a pas de trottoir sous les trois pins solidaires. Il fumait un cigarillo.

J’étais à peu près à deux mètres de lui en distanciation olfactive et je ne disais rien, tout simplement parce que je l’aime bien et j’étais heureux d’être en sa compagnie.

Entre deux silences de complicité, je lui avais répondu :

– Je parle bien aux chats et aux chiens. Pourquoi pas aux écureuils et aux oiseaux.

Nous avions ensuite parlé des filles.

Je me suis souvenu de ça aujourd’hui alors que j’étais dans mon carré de sable du confinement sous les pins solidaires. J’observais les écureuils et les oiseaux, j’écoutais des mésanges, « tchikh-a-di-di », je leurs répondais « di-di-di  ». D’autres oiseaux que je ne connais pas ont atterri au sol.

Ils ont commencé à picorer au travers des aiguilles de pin rougeâtres tapissant le sol, jouant parfois du bec, grattant frénétiquement la litière automnale. De bien drôles d’oiseaux.

Il y a également de drôles d’oiseaux dont les gazouillis sur Twitter me font lever les yeux au plafond. Exemple.

On parle de quelques semaines pendant lesquelles tu modifies ton petit train-train. Comme tu es sans doute une jeune femme intelligente et débrouillarde, tu trouveras facilement une façon de compenser ailleurs.

Sinon, je t’invite à venir pousser les 150 kg de mon fauteuil motorisé plus le poids du monsieur. Tu viendras ensuite t’asseoir sur la fausse chaîne de trottoir et tu lèveras les yeux. Il y a 63 personnes derrière les fenêtres. L’autre est à côté de toi.

C’est entre autres pour cette raison qu’on te demande de faire ton temps.

Ah non. J’oubliais. Tu ne peux pas venir à ma rencontre. Outre mes proches aidants, père et mère, je n’ai pas droit de recevoir de visiteurs. Même pas dehors.

Au jour 5 du confinement 2.0 de l’être confiné

D’absence et de silence.

L’odomètre du fauteuil roulant motorisé affichait 400 kilomètres lorsque j’ai franchi la porte du CHSLD le 20 ou le 21 juin dernier.

Je me souviens de l’impression que j’ai éprouvée alors que je m’apprêtais à faire ma première et lointaine sortie depuis la fin du confinement printanier. Le doute. Le doute qu’après 85 jours de confinement ma tête puisse me conduire sur de nombreux chemins comme auparavant. Jusqu’au panorama sur le fleuve. Au parc aux grands arbres. À la maison. Où bon me semble.

Ce midi-là, il a fallu que je roule à peu près 500 mètres avant que le flottement s’envole. Le ciel m’aspirait. Un soupçon d’alcool m’engourdissait. Tout allait vite dans ma tête comme autour de moi.

J’étais néanmoins déterminé à rattraper le printemps perdu. Alors j’ai foncé dans l’été. Ma quête : la tranquillité, la solitude, ma maison, la présence de ma mère et de ma famille.

Puis c’est au bout de 800e km que l’automne a commencé et s’est brusquement arrêté. On allait m’en faire voir de toutes les couleurs.

Mardi le 29 septembre, le CHSLD est devenu rouge. Un nouveau confinement a commencé.

Interdiction de fréquenter quelque commerce ou lieu clos que ce soit. Interdiction d’aller à la maison de ma mère. Je peux rouler à l’extérieur, mais uniquement sur le terrain du CHSLD. Outre mes proches aidants, mon père et ma mère, je ne peux recevoir de visiteurs. Même sur le terrain.

On m’a volé le printemps. L’automne de force a commencé.