Au jour 43 du confinement de l’être confiné

Il y a en face du centre d’hébergement deux poteaux entre lesquels il y a un panneau où il est inscrit centre d’hébergement. J’ai soumis l’idée qu’on raye d’hébergement pour de détention. La personne en face de moi a affiché un petit rictus désabusé.

Ça fait maintenant 43 jours que je suis prisonnier.

J’ai passé les 2 dernières semaines confiné au troisième étage du centre de détention.

J’ai eu la permission de sortir uniquement dans la cage de verre de la galerie de l’étage parce que le virus est entré dans une chambre, puis dans la bouche ou le nez d’une vieille dame.

Le virus est maintenant parti de la vieille dame qui a toujours été en pleine forme, j’espère avoir bientôt la permission d’aller dans la cage grillagée de la cour arrière. Derrière les grilles il y a une forêt et même une éclaircie comme un chemin.

J’attends qu’on m’autorise à prendre un chemin, une rue et un boulevard, pour aller jusqu’au parc, jusqu’à la maison, pour revoir une maman.

Ça urge. C’est l’épreuve la plus difficile de mon existence. Tout se bouscule dans ma tête. Tout m’écrase. J’étouffe.

Confiné dans un CHSLD à 47 ans… Je suis votre fils. Votre frère. Votre neveu. Votre cousin. Votre ami. Votre amoureux. Je l’ai été. J’aurais aimé. J’aurais pu.

Au jour 34 du confinement de l’être confiné

Première sortie avec pas d’bottes d’manteau d’foulard d’mitaines d’tuque.

Y avait une baie vitrée devant mes yeux, y avait des arbres dans la vitre.

Y avait l’horizon derrière les arbres, y avait des lignes de fuite dans l’horizon.

Une fuite du CHSLD avec pas d’bottes d’manteau d’foulard d’mitaines d’tuque n’est malheureusement pas encore à l’horizon.

Au jour 15 du confinement de l’être confiné

J’ai rejoint les fenêtres vers 11 heures 15.

À la première devant moi, j’ai ouvert un livre. Le logiciel a affiché la quarante-cinquième page de Rue des Boutiques obscures. Ça faisait longtemps que je remettais toujours à plus tard la lecture de l’œuvre de Patrick Modiano. Je ne crois pas que j’en lirai l’intégralité, j’ai choisi cinq romans.

Pendant le confinement, j’ai pris la résolution de lire surtout le jour. Je lis peu et lentement.

Durant la soirée d’hier et pendant la nuit il a neigé. J’ai vu souffler le vent et tomber la neige à la deuxième fenêtre. Très tôt ce matin, j’ai demandé qu’on l’ouvre.

J’ai lu à la première fenêtre en essayant de ne pas être distrait par ce qui pouvait s’y afficher et par le vent qui entrait par la deuxième fenêtre. J’ai lu jusqu’à la cinquante-cinquième page puis j’ai dîné.

J’avais à peine terminé de manger quand j’ai été aspiré par la deuxième fenêtre.

Il était à peu près midi trente quand je me suis retrouvé à nouveau stationné dans l’angle du L de la galerie, le cou entouré d’un foulard, la tête couverte d’une tuque, les mains plongées dans des mitaines, les bras paralysés attachés et placés sur les appuis-bras du fauteuil roulant, le corps recouvert d’une couverture chaude.

Il faisait à peu près 3 °C. J’ai basculé l’assise du fauteuil, j’ai joué avec les degrés, j’ai revu les journées précédentes et je me suis dit que chaque journée du confinement est la même à quelques degrés près.

Au jour 11 du confinement de l’être confiné

J’ai commencé la journée d’hier comme d’habitude : en naviguant. J’ai découvert une initiative et un film : le film des instants. Des personnes confinées ont été invités à filmer une minute depuis une fenêtre du lieu de leur confinement.

On a branché ma webcam, on l’a placée sur le rebord de ma fenêtre. Voici une minute et des poussières de mon confinement.

Au jour 9 du confinement de l’être confiné

Il était à peu près 13 h 15 quand on est venu entourer mon cou d’un foulard, couvrir ma tête d’une tuque, plonger mes mains dans des mitaines, bien placer mes bras paralysés sur les appuis-bras du fauteuil roulant, avant de les attacher ; un bâillement peut les ressusciter momentanément, les soulever, les déplacer et me déséquilibrer. Mystère. On a finalement étendu une couverture chaude sur moi.

Ma tête m’a conduit sur une galerie en forme de L, puis je me suis stationné dans l’angle. Il faisait à peu près 6 °C à ce moment-là. Le jour devant mes yeux était une baie vitrée qui ceinture la galerie sur une hauteur d’un peu moins de 2 mètres. J’ai basculé l’assise du fauteuil, j’ai vu le ciel, j’ai fermé les yeux, je me suis rapidement endormi à 50°.

Quand je me suis réveillé une quinzaine de minutes plus tard, j’ai retranché à peu près 25° vers l’avant, et j’ai observé la forêt à travers le verre. Ça sentait le souper en préparation, ça m’a écœuré, j’en ai voulu au vent.

Un pic-bois a commencé à cogner contre un arbre tout près. Je l’ai cherché sans succès pendant un bon 10 minutes à travers les sections de verre, puis les coups sont devenus moins audibles : il a volé vers d’autres arbres.

Après le vent, c’est à lui que j’en ai voulu. J’aurais aimé qu’il cogne et fracasse le verre, l’acier, le béton et la brique pour que je m’évade du CHSLD.

Au jour 7 du confinement de l’être confiné

J’ai passé la journée à l’endroit où se conclut mon récit Un jour jusqu’à la fin de mes jours :

« Le soleil est froid à la vitre. Du troisième étage, je plonge dans les épinettes qui ploient sous la neige et bougent avec une certaine souplesse. La forêt est magnifique, je frissonne, c’est calme. »

Très tôt ce matin, j’ai demandé qu’on ouvre la fenêtre de ma chambre pour que je m’évade. Devant l’écran, j’entendais la pluie et ce qui reste de l’hiver s’égoutter du toit, tandis que les épinettes à la vitre étaient immobiles. C’était calme.

En après-midi, j’ai demandé qu’on augmente la vitesse du purificateur d’air ; le bruit blanc a étouffé les prières et le chant de Noël de la vieille dame d’à côté. Elle était peu audible, mais c’en était déjà trop pour mon ouïe. Puis, une vieille dame en fauteuil roulant a joué avec la poignée de la porte fermée à clé. Sans succès. Plus tard, un vieil homme a déjoué la serrure avec la clé accrochée en permanence à la poignée extérieure. J’ai quelque peu élevé le ton quand il est entré, il a marmonné, a reculé et fermé la porte.

J’ai vu les prochaines semaines d’internement, j’ai eu la sensation que le plafond allait s’abaisser, que le mur devant moi allait s’avancer, et qu’ils allaient extraire mon énergie, ma patience, peut-être même anéantir ma volonté de poursuivre ma route, si par malheur je suis victime de la COVID-19 et de ses complications ; être réanimé, être intubé. Je suis suffisamment hypothéqué, je crains des séquelles.

Au jour 6 du confinement de l’être confiné

J’ai ouvert le dictionnaire d’Antidote et j’ai appelé « confinement ».

À la fenêtre d’une chambre d’un CHSLD, sur une galerie derrière une baie vitrée, dans une cour et un enclos délimité par des bancs de neige, le confinement est synonyme de :

Isolement, enfermement, incarcération, relégation, internement, détention, captivité, séquestration, emprisonnement, prison, réclusion, claustration, encagement.